Ton terrain

 

 

Sous nos corps défile la Terre.

Tout est marron ou ocre avec des zones de prairies vert clair ou vert foncé.

Tu entends une musique

sur un accord de sol.

Les instruments sont essentiellement des percussions et des voix humaines. Leur composition fait penser à des chants grégoriens rythmés par des tam-tams africains.

Maintenant nous allons accomplir ensemble quelque chose de très important.

Nous allons chez toi.

Nous ne rentrerons pas dans ton appartement, nous allons dans ton vrai « chez-toi ».

Ton refuge intime.

Là où tu pourras toujours te ressourcer quand ça n’ira pas.

C’est un endroit indestructible.

Qui résiste à tout, même au temps.

C’est un lieu qui n’existe que dans ton esprit, et pourtant il n’en est pas de plus sûr. Il faut savoir que, dès le moment où tu l’auras découvert, tu pourras ensuite y revenir facilement même en état de concentration moindre.

Pour l’instant, je serai un peu comme un agent immobilier venu te livrer la clef.

Ce qu’il y a d’extraordinaire dans ce « chez-toi », c’est que tu vas le fabriquer avec ton imagination et ta capacité de construction. Il faut tout d’abord une zone dégagée.

Imagine-la, cela suffit.

Ce peut être une plage, un plateau en haut d’une falaise, une colline, une montagne, plaine, un désert, le centre d’une forêt,

une île au milieu d’un océan ou d’un lac.

Choisis, vite.

Nous partons immédiatement.

Étends tes ailes, nous allons examiner tes terres d’en haut.

Regarde bien, nous y voici.

C’est ici chez toi.

Repère le terrain, les arbres, les rochers.

Ton terrain, tes arbres, tes rochers.

Tes plantes, ton herbe, ton ciel.

C’est sur ce terrain que tu vas bâtir ton refuge.

 

 

 

 

 

 

 

 

Ton refuge

 

 

Ton « refuge » peut prendre toutes les formes que tu désires.

C’est peut-être un château gothique.

Une tanière de terre argileuse.

Une cathédrale aux vitraux multicolores.

Sois l’Architecte de ton refuge.

Les murs sont à ton gré en marbre, en brique, en jade, en or, en papier, en verre, en acier, en bois, en paille.

Vois ton refuge qui émerge de la terre, telle une immense plante s’épanouissant en accéléré.

Là où il y a des fondations pousse un plancher.

Là où il y a un plancher poussent des murs.

Ne lésine pas sur les moyens.

Chez toi, c’est chez toi.

Pas de limites à la beauté, la solidité, l’excentricité de ton refuge.

Tu peux orner l’extérieur de tours, de tourelles, de gargouilles ou de sculptures érotiques.

Pour la décoration intérieure, pense à des tableaux, des lampes et luminaires divers : torches ou amas de vers luisants.

Pille les musées s’il le faut pour avoir

le nec plus ultra.

Le plafond de la chapelle Sixtine te semble parfait pour ton salon ?

Prends.

Pour ta salle de billard, quelques Dali pourront être du plus bel effet.

De même que quelques toiles de Léonard de Vinci pour l’entrée. Et pourquoi pas du Jérôme Bosch dans les salles de bains ?

Vas-y, prends.

Ressors maintenant.

Fais le tour de ton refuge à vol d’oiseau.

Examine bien chaque détail.

Tu es enfin chez toi, bon sang !

 

 

 

 

 

 

 

Chez toi

 

 

Regarde de l’extérieur par les fenêtres ce que rendent les pièces.

Tu peux encore améliorer ton refuge.

N’as-tu jamais rêvé d’avoir une licorne dans ton jardin ?

Une armée de lutins de quinze centimètres de haut entièrement dévoués à ta protection rapprochée ?

Installe un coin de forêt pour que les elfes te rendent visite discrètement le soir.

Les sirènes seront pas mal dans ta piscine olympique, mais pense à leur aménager une tanière aquatique pour qu’elles puissent se cacher.

Tu sais comment sont les sirènes.

Rien de plus timide…

Installe un pigeonnier géant pour que les anges viennent te voir plus souvent.

Voilà, apprécie. Enlève ce qui te semble alourdir l’ambiance.

Quand tu viendras dans ton refuge,

il faut que tu aies toujours l’impression

d’être dans un nid douillet

où tu ne t’ennuieras jamais.

Ton refuge est-il au point ? Rien à ajouter ?

Bon.

Je te donne la clef unique.

Tu la scrutes. La soupèses.

Tu l’introduis dans la serrure.

Tu ouvres la porte. Tu es évidemment la première personne à venir ici et à franchir ce seuil.

Te voilà enfin chez toi, cher lecteur.

Trompettes !

C’est beau hein ?

Inspecte les lieux.

Tout est exactement comme tu l’as toujours souhaité.

La température est idéale.

Tu respires l’air de ta demeure et tu reconnais des odeurs familières.

Il y règne des odeurs de lait, de gâteau, de rôti, d’encens ou de cire d’abeille que tu connais depuis ta prime enfance.

Même l’odeur de bois des meubles est un repère qui te rassure.

Le bruit de la cheminée avec les bûches qui crépitent.

L’odeur de résine.

Tu vas dans ton bureau.

C’est ton lieu de travail, de réflexion, d’entreprise.

Tous les objets qui traînent sont reconnus, identifiés.

Tu t’assois sur ton fauteuil à ton bureau.

 

 

 

 

 

 

 

 

La phrase que tu dois entendre aujourd’hui

 

 

Devant toi est posé un grand et lourd album qui ressemble à un grimoire.

Sa couverture est en bois sculpté, ses charnières sont en ferronnerie et ses pages en parchemin usé.

Ouvre-le au hasard.

Une seule phrase est inscrite au milieu de la page de gauche.

C’est la phrase que tu dois lire aujourd’hui.

Cette phrase ne s’adresse qu’à toi,

et c’est grâce à elle que tu vas pouvoir résoudre tes difficultés actuelles.

Cette phrase va t’aider à effectuer un pas.

C’est peut-être un conseil pratique.

Une solution à laquelle tu n’as pas pensé concernant un problème qui te préoccupe.

C’est peut-être le nom d’une personne à laquelle tu n’as pas fait assez attention et qui pourrait s’avérer d’un grand secours.

C’est peut-être un virage complet que tu dois prendre, même s’il te semble pénible.

C’est peut-être quelque chose que tu dois accomplir pour te sentir mieux.

Maintenant cette phrase « utile » est devant toi.

Ferme les yeux vingt secondes et lis-la.

 

 

Soupèse bien le sens de chaque mot.

Comprends-le en profondeur.

Maintenant prends la grande plume d’oie devant toi et trempe-la dans l’encrier.

Tu vas inscrire à côté, sur la page de droite, ta réponse à la phrase du grimoire.

Ferme les yeux vingt secondes, elle viendra toute seule, d’un coup.

 

 

Voilà.

Tu connais le problème et sa solution.

Tu ne peux plus les ignorer.

Referme le grimoire.

Sache que chaque fois que tu reviendras dans ton refuge et que tu rouvriras cet ouvrage, il y aura une nouvelle phrase qui te sera adressée.

Elle te permettra de parcourir plus vite et dans de meilleures conditions la prochaine étape de ta vie.

Tu n’auras qu’à fermer les yeux vingt secondes pour lire la phrase.

Tu n’auras qu’à fermer les yeux vingt secondes pour trouver ta réponse.

Si tu veux, tu peux même noter tes phrases sur mes pages pour bien te les rappeler.

Ne t’inquiète pas pour moi.

Je te l’ai dit : je ne suis pas sacré, tu peux faire autant de notes, de dessins, de graffitis, cornes à mes pages que tu le souhaites.

Revenons dans ton bureau.

Range le grimoire dans le tiroir de la table. Si tu ne veux pas que le bureau de ton monde spirituel soit aussi mal rangé que le bureau de ton monde matériel, prends de bonnes habitudes.

Maintenant regarde l’écrin à ta gauche.

Ôtes-en le cachet de cire.

 

 

 

 

 

 

 

Ton symbole personnel

 

 

À l’intérieur se trouve ton symbole.

Regarde-le.

Tu le vois. Tu le reconnais. Tu le comprends.

Touche-le.

Perçois ses angles, ses courbes, son volume.

Pourquoi a-t-il cette forme particulière ?

Que t’évoque-t-elle ?

Tu prends ton symbole, tu le lèves au-dessus de toi et il se met à irradier très fort comme un petit soleil.

Tu le mets près de ta poitrine,

et tu l’enfonces d’un coup dans ton cœur.

Là, il se met à briller encore plus fort et te fournit une douce énergie.

Tous tes sens voient aussitôt leur sensibilité s’accroître.

Tu n’as pas que cinq sens physiques : vue, odorat, ouïe, goûter, toucher.

Tu es doté aussi de cinq sens spirituels : émotion, imagination, intuition, conscience, inspiration.

Et tous profitent de ton symbole.

L’émotion.

Tes émotions sont mieux canalisées.

Tu ne les laisses plus te submerger comme des vagues déferlantes.

Tu les sens venir, et tu sens que tu peux surfer sur leur cime.

L’imagination.

Ton imagination s’élargit.

Tu quittes les préjugés qui réduisent ton angle de vision.

L’intuition.

Ton intuition devient fulgurante, tu apprends à l’écouter avant d’entreprendre quoi que ce soit.

La conscience.

Tu as conscience de qui tu es.

Tu as conscience de ce que tu fais

à chaque instant.

L’inspiration.

Ton inspiration capte les idées qui s’agglomèrent, tel un grand nuage au-dessus de la planète.

Nuage qu’on a parfois baptisé « noosphère ».

À l’intérieur les idées se mélangent, s’hybrident, fusionnent.

Tu apprends que les idées sont comme des êtres indépendants.

Qu’elles ont leur propre évolution, leur propre sélection, leur propre mutation.

Elles ne sont pas que filles de nos cervelles.

Elles étaient là avant l’humain et seront là après.

Certaines se répandent, d’autres vivent en autarcie.

Certaines se recroquevillent pour ne surgir qu’au meilleur moment.

D’autres planent généreusement pour être saisies par les rêveurs et les artistes.

Désormais, tu sais que toi aussi tu peux cueillir ces idées.

Chaque fois que tu en auras envie, tu pourras aller visiter la noosphère et y puiser ce dont tu as besoin pour créer dans ton domaine privilégié.

Mais n’oublie pas que ces idées ne viennent pas de toi.

Ta créativité consistera à les relier différemment.

Branche-toi sur la noosphère.

Ta mémoire augmente pour stocker les idées, les comparer, les métisser, les faire évoluer dans ton laboratoire spirituel personnel.

Ta capacité d’analyse et de synthèse se développe.

Tu réfléchis plus vite sans t’embarrasser des détails sans importance.

Tu devines les enjeux cachés derrière les apparences.

Comme si on nettoyait les fenêtres empoussiérées de tes perceptions.

Tout devient plus clair, plus léger, plus simple.

Tu sais aller à l’essentiel.

Tu deviens maître de ta pensée.

C’est la force de ton symbole personnel.

Tu le remets dans son écrin.

Tu le refermes, et tu le ranges.

Tu sais que, chaque fois que tu n’iras pas bien, il te suffira d’appeler ton symbole et de le refaire irradier dans ton cœur.

 

 

 

 

 

Ton arme

 

 

Un long fourreau est accroché au mur, en face de ton bureau.

À l’intérieur se trouve ton arme.

Sors-la.

C’est une épée.

Regarde-la. Examine son pommeau.

Ta devise y est gravée.

Examine sa lame mille fois trempée.

Examine son manche parfaitement adapté à la forme de ta main.

C’est ton épée, dans toute autre main elle perdrait son équilibre.

Elle est légère et pourtant suffisamment forte pour trancher le métal.

Sa lame est fine comme celle d’un rasoir.

Mais tu entends des bruits dehors.

Qui peut oser venir sur ton territoire ?

Tu te penches par la fenêtre et tu aperçois un groupe de gens.

Tu les reconnais, ce sont tes amis.

Ils viennent fêter la découverte de ton refuge.

 

 

 

 

 

 

 

Ta fête

 

 

Tu ranges ton épée dans son fourreau et tu descends les rejoindre.

Ils ont organisé une fête devant l’entrée de ton refuge.

Il y a des tables disposées en cercle.

Il y a des plats succulents.

Une musique résonne.

Tu reconnais cette musique, c’est ta musique préférée.

Tout vibre dans cette mélodie.

C’est sur cette musique qui te caractérise si bien que tu prends place sur le siège qui t’est désigné.

Tu lèves les bras et tous tes amis te sourient.

Aujourd’hui il n’y a que les gens qui t’aiment vraiment qui sont venus.

C’est ta fête.

Tu lèves ton verre à leur santé.

Ton ou ta meilleure amie vient te dire

qu’ils ont tous apporté un cadeau.

Chacun à tour de rôle se présente devant toi et te le remet.

Tu défais paquets et rubans.

Chaque cadeau est spécial et révèle non seulement la personnalité de celui qui l’offre mais aussi la façon dont il pense te faire le plus plaisir.

Chacun de tes amis explique le sens de son cadeau.

Il y a des œuvres d’art spécialement créées pour toi.

Il y a des objets rares dénichés dans des brocantes.

Ceux qui te les offrent sont allés les chercher très loin

et ils te racontent l’histoire de ces trouvailles.

Chacun te rappelle à l’oreille un bon moment que vous avez passé ensemble.

Moi le livre, en cet instant, je me fais discret.

Je respecte la complicité particulière qui te lie à eux.

Apprécie la chance d’avoir de tels amis.

Certains se saisissent de tam-tams.

Et vous dansez à la manière des peuples des forêts.

Tu fermes les yeux.

Tu te défoules complètement.

Vous chantez spontanément en émettant des sons qui partent du ventre.

Cela ressemble à des chants amérindiens ou des polyphonies pygmées.

Puis d’autres prennent des binious, des cornemuses, des harpes, des violes et composent une gigue campagnarde délicieusement démodée.

On passe ensuite à des rocks endiablés.

Vous tournez de plus en plus vite.

Puis tout se calme avec des slows langoureux.

Les corps se frôlent, se touchent, se caressent.

Les doigts s’enlacent et se serrent.

Des baisers furtifs glissent entre les danseurs.

La présence tiède de tes amis est comme un grand manteau qui te protège.

Tu sais que ceux-là ne te laisseront jamais tomber.

Pourtant quelqu’un regarde les étoiles, dit qu’il est tard et qu’il doit rentrer.

Les autres lui emboîtent le pas.

Tu veux les retenir encore.

Mais considère plutôt leur retrait comme une preuve d’amitié.

Ils savent que tu dois continuer seul ton parcours pour rencontrer le troisième élément.

Le feu.

Ils ne veulent pas te ralentir dans ton voyage.

Tu les salues un par un

et tu redeviens un oiseau

transparent.